Vendredi 10 avril 2020 – Vendredi saint 1
Confinement I – 25e jour

Arcabas,
Le baiser de Judas (détail)
Polyptyque Passion et résurrection

— Méditation pour les laudes au séminaire des Carmes —


Le Vendredi saint nous plonge, nous disciples du Christ,  dans le mystère insondable de la croix.
Nous devons faire face à la croix  et à tout ce qu’elle représente, à tout ce qu’elle signifie.
Il n’est pas possible de reculer,  ou alors il nous faut renoncer à être chrétiens.
Cette croix est pour nous une occasion de chute ou de relèvement.
Nous pouvons buter dessus comme sur une pierre d’achoppement.
Nous pouvons aussi nous appuyer dessus comme une pierre de fondation.
Quoi qu’il en soit, la croix est là, incontournable pour nous.
Elle étend ses bras au-dessus de nos têtes et nous prends dans son ombre.

Nous sommes les disciples de Christ.
Nous ne sommes pas plus grands que les premiers disciples.
Nous ne sommes pas meilleurs qu’eux.
Nous ne sommes pas non plus si différents.

Dans le déroulement inéluctable de la passion,
deux disciples servent de bornes, de points de repère, et de modèles contrastés.

Tout commence avec Judas.
L’un des Douze qui prêcha au nom de Jésus,
qui fit des miracles en son nom
Lui qui reçut la bouchée des mains même du Sauveur.
Judas est l’homme du début de la Passion et il est l’homme de la fin,
car il est l’homme de l’arrestation.
Il est l’homme du baiser.
« Judas c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme ? »
Mais comment en aurait-il pu être autrement ?
Le premier baiser que Jésus a reçu dans sa vie d’homme fut de sa mère.
Le dernier qu’il eut reçu est celui de Judas.
C’est par un acte d’amour, un signe de tendresse que le Fils de l’Amour est trahi.
Mais dans ce baiser, il y a l’amour déçu, l’amour jaloux.
Il y a toute la violence de l’amour de Judas pour Jésus.
N’avait-il pas dit qu’il était venu chercher la brebis perdue ?
Et qu’il se réjouirait plus pour elle que pour les 99 autres brebis de l’enclos ?
Alors Judas se perd plus loin que les autres, au risque de ne pas être retrouvé.
Nous aussi nous savons le baiser.
Nous aussi nous avons en nous tout l’amour qu’il faut pour trahir.

Si tout commence avec Judas, tout fini avec Joseph, celui d’Arimathie.
Joseph est aussi un disciple.
Non pas l’un des Douze, l’un de ceux qui ont de l’importance.
Non. Joseph est le disciple du secret, le disciple du silence.
Il est celui qui se tient discrètement dans l’ombre du maitre.
Il est la brebis de l’enclos, presque anonyme parmi les 99 autres.
Il est lui aussi l’homme de la fin, car il est l’homme de la mise au tombeau.
Il est aussi l’homme du début, car c’est de ce tombeau que Dieu fait toute chose nouvelle.
Il est surtout l’homme qui prend soin du corps de Jésus.
La première femme qui a lavé Jésus, qui a pris soin de lui,
qui a parfumé sur corps, était Marie, sa mère.
Le dernier qui pose sur son corps les gestes de la tendresse et de l’honneur est Joseph.
C’est par un acte d’amour que le Fils de l’homme est mis au tombeau.
Dans cet acte, il y a plus que la « corvée des morts ».
Dans ce geste, il y a un sacrifice considérable et insoupçonnable.
En cette veille du grand sabbat de la Pâque, Joseph s’est rendu impur.
Il ne pourra pas, selon la Loi, présider le repas pascal.
Il devra céder cette place à son Fils.
Il va vivre, lui, un autre passage, une autre veille, au tombeau, dans la fidélité à son ami.
Nous aussi, nous savons la tendresse.
Nous aussi, nous avons tout l’amour qu’il faut pour rester fidèle.

Deux disciples parmi les autres Judas et Joseph
Deux disciples face à la croix du Fils de l’homme.
Deux disciples que nous pouvons êtres nous aussi.

La croix révèle en nous tous la vérité de nos vies.
La croix relève en nous l’amour depuis les tréfonds de nos existences.

Cet amour peut conduire à la trahison s’il n’est libre de la liberté de Dieu,
s’il n’est pas chaste comme la vérité de Dieu,
et s’il n’est pas purifié de nos égoïsmes stériles.

Cet amour peut conduire à la compassion.
Il peut nous mener à l’autre, au frère, à l’étranger, au mal-aimé.
Il peut nous conduire à Dieu.
Il peut nous conduire à son corps.

Cet amour vient de Dieu comme la lumière vient du soleil.
Cet amour-là est celui de Dieu, celui du Christ qui nous ai aimés jusqu’au bout.

Face à la croix du Christ, à l’ombre de ses bras,
le mystère de ce jour saint nous convoque à la vérité de nos vies.
Nous avons en nous tout l’amour qu’il faut.
Comment allons-nous le vivre ?

La croix révèle en nous tous la vérité de nos vies.
La croix plante en nous la flèche de la conversion.
Sous son ombre, nous pouvons lever les yeux vers l’horizon du matin de Pâque.
Sous son ombre, nous voyons se lever l’aurore de la Vie.

Il nous faut relever le défi comme le maître.
Le disciple est celui qui le suit.
Le disciple est celui qui aime comme lui.

Si nous sommes vraiment les disciples de Christ,
alors suivons-le pas à pas dans sa passion pour avoir part à sa vie.