Dimanche 15 novembre 2020
33e dimanche du temps ordinaire
Confinement II – 17e jour
Une nouvelle messe sur le monde
Depuis quelques jours déjà, de nombreux chrétiens bravent le confinement pour se retrouver à manifester devant les Églises. Depuis quelques jours déjà, d’autres chrétiens partagent sur le réseau social la prière de « La messe sur le monde » de Teilhard de Chardin. Les uns et les autres à leur manière crient leur soif de l’eucharistie. Et c’est ce cri que je veux aujourd’hui entendre. Mais comment l’entendre sans s’interroger sur le sens véritable de toute eucharistie ?
Le texte de Teilhard de Chardin est un hymne cosmique qui, née près du Chemin des Dames pendant la Grande Guerre, monte vers le Père depuis les steppes du désert des Ordos aux portes de la Mongolie. Teilhard ne peut offrir le sacrifice d’Action de grâce, car il n’a ni pain, ni vin, ni autel. L’Église ne lui permet pas de substituer aux éléments matériels traditionnels d’autres aliments terrestres et lui impose la pierre consacrée de l’autel pour offrir le sacrifice non sanglant. L’Église, dans les conditions qui sont les siennes, lui interdit de célébrer l’eucharistie. Mais cela n’empêche pas Teilhard d’accomplir son sacerdoce en offrant « sur l’autel de la Terre entière, le travail et la peine du Monde ». Sur le bord du monde, Teilhard emboîte le pas au psalmiste qui bien des siècles avant lui chantait la gloire du Très-Haut (Ps 18):
Les cieux proclament la gloire de Dieu,
le firmament raconte l’ouvrage de ses mains.
Le jour au jour en livre le récit
et la nuit à la nuit en donne connaissance.Pas de paroles dans ce récit,
pas de voix qui s’entende ;
mais sur toute la terre en paraît le message
et la nouvelle, aux limites du monde.
Au creux de la patène, Teilhard place l’humanité toute entière et ses aspirations. Au plus profond du calice, il plonge l’humanité et ses douleurs. Il les élève dans sa prière comme une offrande vivante pour que tout devienne eucharistie et que le feu de l’amour divin embrase toute humanité.
Près d’un siècle plus tard, non plus sur les plateaux mongols, mais dans les villes et les villages de France, les fidèles du Christ souffrent de ne plus pouvoir se rassembler pour offrir le sacrifice d’Action de grâce. Le pain, le vin et les autels ne manquent pourtant pas, mais les prêtres les offriront seuls en portant au creux de leur patène et au plus profond de leur calice la vie de leurs frères et sœurs.
Ce n’est plus l’Église qui empêche la célébration publique de la messe, mais les contraintes du temps, de la pandémie, de la prudence, et de la nécessité du vivre ensemble. Oui, les temps sont complexes. Oui, les temps sont violents. Oui, nous avons tous le désir de vivre enfin pleinement notre vie que cet étrange confinement et ce satané virus ne brident que trop fort. Mais tout cela nous empêchera-t-il de faire monter vers notre Dieu, notre messe sur le monde ? Plaçons donc sur notre patène le désir de vie et de salut qui travaille imperceptiblement toute humanité. Versons dans notre calice « la sève de tous les fruits » de l’humanité que nous pouvons offrir. Offrons au Seigneur ce sacrifice de louange pour qu’il nous le rende en abondance dans la force de tenir dans l’épreuve, dans le courage d’aller vers nos frères, dans la compassion pour ceux qui souffrent, dans l’entraide avec les plus pauvres, dans la rencontre avec ceux qui sont seul, dans le pardon avec ceux qui nous font souffrir, dans la paix avec ceux qui luttent, dans l’amour avec tous ceux pour qui le Christ a donné sa vie. N’est-ce pas là l’accomplissement de notre sacerdoce royal dont le baptême nous a revêtus ? N’est-ce pas là l’accomplissement de notre vocation chrétienne ? N’est-ce pas là l’accomplissement de notre vie d’homme dans celui qui s’est fait homme ?
En ce dernier dimanche avant la fête du Christ Roi de l’univers, comment ne pas être saisi de l’Esprit qui anima Teilhard dans son offrande spirituelle ? Les textes bibliques du jour nous redisent que « nous sommes des fils de la lumière », que nous « n’appartenons pas à la nuit et aux ténèbres ». « Alors, ne restons pas endormis comme les autres et soyons vigilants » (1 Th 5, 1-6). Cette vigilance est celle de la foi dans la prière, de l’espérance dans la vie quotidienne et de l’amour pour tous les hommes et les femmes de ce temps.
Dans quelques minutes, je me trouverai à l’autel du Seigneur. Soyez sûr que vous serez tous posés au bord de la patène et plongés au fond du calice. Votre « messe sur le monde » rejoint « ma messe à l’autel » pour que le feu de l’amour divin embrase nos cœurs à tous.
P. Sylvain Brison
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