Faire le clown à Rome

Intro

Faire le clown à Rome est le titre d’un recueil de Henri Nouwen sur la solitude, le célibat, la prière et la contemplation. Dans l’introduction au livre, l’auteur use de la figure du clown pour décrire la posture chrétienne si étonnante. Ce texte est une invitation à découvrir les surprises de la vie spirituelle dans le grand cirque de la vie.

Sylvain Brison

Pendant les cinq mois passés à Rome, ce ne sont ni les cardinaux empourprés ni les Brigades rouges qui ont eu sur moi le plus d’impact, mais les entractes, les petites choses qui se passaient entre les grandes scènes. J’ai rencontré quelques étudiants de la communauté de San Egidio, qui « perdaient » leur temps avec de tout jeunes décrocheurs et des personnes âgées. J’ai rencontré une sœur de la Mission médicale qui consacrait tout son temps à deux vieilles femmes seules et sans ressources dans un petit appartement du Trastevere. […] J’ai rencontré plusieurs saints et plusieurs saintes qui donnaient leur vie pour les autres avec une générosité désarmante. Et j’en suis venu peu à peu à comprendre que dans ce grand cirque de Rome, rempli de dompteurs de pauvres et de trapézistes dont les prouesses attirent l’attention, ce sont les clowns qui racontent la véritable histoire.

Les clowns ne sont pas au centre des évènements. Ils apparaissent entre les grands numéros, font assaut de maladresse, exécutent leurs cascades et nous font rire après la tension générée par les héros que nous sommes venus admirer. Les clowns ne réussissent pas ce qu’ils entreprennent, ils sont empotés, hors d’équilibre, mal habiles, mais… ils sont de notre côté. Ils suscitent chez nous non pas l’admiration, mais la sympathie, non pas l’étonnement, mais la compréhension, non pas la tension, mais le sourire. Nous disons des virtuoses : « Mais comment peuvent-ils y arriver ? » Nous disons des clowns : « Ils sont comme nous ». Les clowns nous rappellent au prix d’une larme et d’un sourire que nous partageons les mêmes faiblesses humaines. […]

Plus se prolongeait mon séjour à Rome, plus les clowns me plaisaient, ces personnages périphériques dont la sainte et humble vie arrache un sourire et fait espérer, même dans une ville terrorisée par les enlèvements et la violence de la rue. Il est injuste, au fond, de voir dans l’Église de Rome une bureaucratie dépourvue d’imagination, un rempart intransigeant du conservatisme, ou un splendide musée voué à l’art de la Renaissance. Car il y a trop de clowns à Rome, à l’intérieur comme à l’extérieur du Vatican, dont les gestes démentent cette opinion. J’en suis même venu à penser que par-delà le noir, le violet et la pourpre des églises de Rome, par-delà les complets-cravates des bureaux romains, il restait assez de clownerie à Rome pour nous redonner espoir.

Henri J. M. Nouwen,
Faire le clown à Rome,
Bellarmin , 2000 (1e ed. 1979),
p. 15-17.

Henri J. M. Nouwen (1932-1996) était prêtre catholique et a enseigné à l’Université Notre-Dame, ainsi qu’à Yale et à Harvard. À la suite d’une crise personnelle et d’une conversion spirituelle majeure, il s’est retiré comme aumônier d’une communauté de l’Arche à Toronto. Ses écrits de spiritualités témoignent d’une grande vivacité d’esprit et d’une profonde maturité.