Mardi 24 novembre 2020
Confinement II – 26e jour

Vestiges du Temple
à Jérusalem 
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Info

Ce matin, une fois de plus, la « toile » relaye les heurts de la contestation ambiante sur les revendications de messes. Tout n’est composé que de pseudo-arguments qui ne sont qu’affectifs ; aucune place n’est possible pour la distance, la réflexion, la théologie ! Déjà en 1929, Henri de Lubac rapportait ce constat d’une étonnante actualité pour nous : « Ils ne cherchent pas, ils ont trouvé : contemplation et expérience, c’est la démarche par laquelle ils se fixent dans la foi ». Est-il encore possible (permis ?) d’avoir une parole équilibrée et distanciée sans se faire clouer au pilori d’être un mauvais prêtre, un mauvais théologien et un mauvais chrétien quand on ne veut pas crier « au loup » avec la meute des irraisonnés ? L’attachement à l’Église est bien mis à mal, mais le défi de l’unité n’est que plus urgent. En préparant l’homélie de la messe au séminaire, je médite l’évangile du Jour et je crois y discerner une piste de réponse… Alors, même si cette cette méditation est aussi un « coup de gueule », elle se veut être un acte d’espérance en la providence de Dieu qui sait faire toute chose nouvelle.

Il ne restera pas pierre sur pierre


L’évangile de ce jour ne résonne que trop bien dans la vacuité des raisonnements qui prolifèrent autour de nous !

« Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre :
tout sera détruit
 » (Lc 21, 6). Jésus parle du Temple de Jérusalem dont, effectivement, il ne reste plus rien aujourd’hui.

Le Temple est un problème ! Dieu ne voulait pas de Temple, car il ne voulait pas se voir enfermé, assigné à résidence (cf. 2 S 7). Il voulait rester sous la Tente, proche de son peuple ; mais celui-ci l’a cantonné dans les murs infranchissables et sécurisants du Saint de saints. Il est plus facile de vivre quand on sait où doit être Dieu ! De ce Temple, Jésus prophétise la destruction, car il est fait de la main et de la volonté des hommes. Mais il sait lui que rien n’est impossible à Dieu — et surtout pas sa présence auprès des hommes qu’il aime.

Il nous est facile — trop facile sans doute — pour nous de lire cet évangile aujourd’hui sans éprouver crainte et tremblement, comme ont dû l’éprouver ses disciples. Mais ce serait nous faire illusion que de croire que nous n’avons pas reconstruit, peut-être malgré nous, d’autres temples pour y enfermer Dieu afin de vivre nos petites vies confortables. Un exemple me vient à l’esprit en ces moments complexes. Qu’en est-il de nos conceptions de l’eucharistie et de la présence de Dieu ? La présence de Dieu dans la circonférence de l’hostie ne cacherait-elle pas pour nous la confortable illusion d’enfermer Dieu dans un nouveau temple auprès duquel il nous serait loisible de venir déverser nos sentiments et nos dévotions au rythme de nos affects et de nos envies ? Certes, mon propos est sans doute excessif, mais quand je lis et entends certaines réactions contemporaines, je ne peux que m’interroger. Qu’avons-nous fait du mystère de l’eucharistie ? L’avons-nous réduit au point de n’en faire qu’un sentimentalisme qui nous fait chaud au cœur ou une drogue à bon marché qui nous laisse en état de manque ? Que revendiquent ceux qui à corps et à cri vocifèrent à l’injustice et au complot, au risque de rejeter leurs frères (évêque, prêtres et fidèles) qui ne se situent pas de la même manière ? Osons-nous poser, personnellement et communautairement la question : quels sont les petits temples dans lesquelles nous souhaitons mettre Dieu pour l’avoir sous la main quand nous en avons besoin ?

« Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre :
tout sera détruit
 » (Lc 21, 6) ; et c’est heureux ! Que Dieu détruise tous les Temples dans lesquels nous avons tendance à l’enfermer. En cette dernière semaine du temps ordinaire, la Parole de Dieu nous conduit sur les chemins du dépouillement et de l’espérance. Dépouillement, car il faut que nous acceptions à abandonner toute nos idoles et nos certitudes humaines (nos temples) afin de reconnaître la vérité de Dieu : et c’est éprouvant. Espérance, car si le Temple est détruit, la Résurrection de Jésus le rend présent auprès de tous ceux que Dieu aime et qu’il sauve de l’éloignement du péché : et c’est rassurant.

Aujourd’hui encore, le Christ nous appelle à choisir le vrai chemin de l’Évangile qui passe pour les voies que Dieu seul sait ouvrir. Il se peut que nous ne sachions pas toujours comment réagir. Il est probable que notre discernement puisse être faussé. Il est fort à parier que notre faiblesse humaine donne prise au péché et à la division. Mais Le Christ est là qui nous appelle à le suivre en Église jusque dans la Jérusalem céleste où il n’y aura plus de Temple, « car son sanctuaire c’est le Seigneur Dieu, souverain de l’univers et l’Agneau » (Ap 21, 22). Que le Seigneur ne cesse de travailler dans nos cœurs, notre Église, notre monde et notre histoire afin que ces temps tourmentés, soient transformés par la grâce en temps de purification et de conversion à la vérité de l’Évangile.

P. Sylvain Brison