Samedi 28 novembre 2020
Dernier jour du temps ordinaire
Confinement II – 30e jour

Basilique du Sacré-Cœur
de Montmarte
28 novembre 2020
Photos: Sylvain Brison

Quand la balade de confinement
se transforme en pèlerinage


Aujourd’hui, première phase d’allègement du confinement, nous sommes autorisés à sortir du kilomètre règlementaire pour nous aérer. L’occasion, et le temps sont trop beaux pour ne pas en profiter. Destination Montmartre pour aller voir les belles photos des franciscains de la Custodie de Terre sainte exposées sur les grilles de la basilique. Une bonne sortie sportive et culturelle pour briser la monotonie des jours… Chemin faisant, avec un ami masqué, nous devisons, d’un pas et d’un esprit alerte… La discussion se fait dense, théologique, spirituelle. Nous arrivons à Montmartre dans la chaude lumière de la fin d’après-midi qui contraste avec l’air vif et stimulant qui nous entoure. Nous faisons le tour de l’église, nos propos s’envolent vers Jérusalem au gré des photos et des visages que nous reconnaissons. Nous entrons enfin dans la basilique et déambulons parmi les visiteurs. Elle est bien vide en comparaison de la foule dense qui se presse sur le parvis et les escaliers pour assister au coucher du soleil. Je m’arrête devant le texte du vœu national et je m’interroge sur l’étonnante coïncidence et le grand écart qui existe entre notre époque et la sienne:

« En présence des malheurs qui désolent la France et des malheurs plus grands peut-être qui la menacent encore. En présence des attentats sacrilèges commis à Rome contre les droits de l’Église et du Saint-Siège, et contre la personne sacrée du vicaire de Jésus Christ.

Nous nous humilions devant Dieu, et réunissant dans notre amour l’Église et notre patrie, nous reconnaissons que nous avons été coupables et justement châtiés.

Et pour faire amende honorable de nos péchés et obtenir de l’infinie miséricorde du Sacré-Cœur de Notre Seigneur Jésus Christ le pardon de nos fautes, ainsi que les secours extraordinaires qui peuvent seuls délivrer le Souverain Pontife de sa captivité et faire cesser les malheurs de la France nous promettons de contribuer à l’érection, à Paris, d’un sanctuaire dédié au Sacré-Cœur de Jésus. »

Ce langage n’est plus nôtre, il est celui du XIXe siècle finissant ; ce contexte n’est plus le nôtre, il est celui d’une France et d’une Europe déchirée par les guerres et les insurrections ; cette théologie n’est plus la nôtre, elle est celle d’une rétribution divine. Mais, cette attitude spirituelle n’est malheureusement plus la nôtre non plus. En présence des malheurs et des dangers qui menacent le monde, en présence des divisions qui déchirent l’Église, que faisons-nous ? Nous réclamons, nous exigeons, nous revendiquons, nous manifestons, au lieu de nous faire humbles devant Dieu et de rechercher le secours de sa miséricorde. Quelle « amende honorable » allons-nous faire pour dépasser le péché de nos invectives et de nos déchirures ? Quelle grâce osons-nous demander pour délivrer le monde de la Covid-19, mais surtout de l’esprit d’individualisme et de mépris et de replis sur soi qui nous contamine ? Que promettons-nous de faire pour faire cesser les malheurs qui déchirent notre monde ? Je crois pouvoir dire que je me reconnais peu dans le Vœu de Montmartre, trop marqué spirituellement et « théo-politiquement ». Mais je suis quelque part admiratif de l’esprit de conversion qui a animé ces chrétiens aux prises avec leurs crises.

Je reprends ma déambulation et je m’arrête quelques minutes devant le Saint-Sacrement exposé. Là encore, je mesure un écart entre ma pratique religieuse et les habitudes du lieu. Je ne suis pas un « fan » de ces dévotions d’adoration perpétuelles… J’ai toujours peur qu’il ne s’y cache quelques réflexes païens et idolâtres. Mais je crois profondément au sacrement de l’eucharistie, à la présence du Seigneur qui se donne à nous et pour nous, à la construction du Corps du Christ par la manducation du Corps du Christ. En cette veille de l’avent, je suis envahi pas le sentiment qui brulait le cœur des disciples au soir de la Résurrection et Montmartre se pare des traits d’Emmaüs. Une prière spontanée, simple et sobre monte sur mes lèvres pour le monde, pour l’Église, pour notre unité, pour notre fraternité, pour que vive la charité : « Seigneur aide nous à nous faire humble devant toi et devant nos frères ; accueille nos souffrances pour les inonder de ton amour. Que ta miséricorde soit sur nous tous ». Le temps est comme suspendu entre ciel et terre.

Je ressors de la basilique avec les derniers rayons du jour et je contemple la ville qui se drape peu à peu dans l’obscurité : le moment de rentrer vers Jérusalem ? Le chemin de promenade s’est transformé lentement mais surement en pèlerinage spirituel, car le Seigneur chemine avec nous, que nous le reconnaissions ou non. Sur le chemin du retour avec Olivier, la ville s’éclaire des illuminations de Noël… Dans les boutiques enfin et encore ouvertes, les visages des hommes et des femmes marquent une inquiétude, une attente, une espérance peut-être ? Ce pèlerinage improvisé dans la balade résonne avec le passage du temps ordinaire au temps de l’Avent… Les premières vêpres s’entonnent aux heures de la veille, car le Seigneur vient ; et la prière qui monte des cœurs vers le Ciel nous invite à aller de l’avant :

« Donne à tes fidèles, Dieu tout-puissant,
d’aller avec courage sur les chemins de la justice
à la rencontre du Seigneur,
pour qu’ils soient appelés, lors du jugement,
à entrer en possession du Royaume des cieux. »

Que ce temps de l’avent nous entraîne à franchir nos désespoirs et nos divisions pour nous révéler la douce nouvelle du Sauveur qui né dans notre monde blessé.

P; Sylvain Brison