Une onction de joie

Une entrée en semaine sainte (29 mars 2021)

Intro

Au titre de ma mission d’aumônier des impétrants pour la lieutenance pour la France de l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem (ceux qui se préparent à s’engager dans l’Ordre), j’ai écrit une courte médiation d’entrée dans la semaine sainte. Je la partage ci-dessous en souhaitant à chacun de vous une belle montée vers la joie pascale en ces temps compliqués.

Arcabas,
L’onction de nard
Polyptyque Passion et Résurrection

Paris, le lundi 29 mars 2021, lundi saint.

Nous voici entrés dans la Semaine sainte qui nous conduit jusqu’au mystère pascal. Cette semaine nous donne de contempler le Christ qui, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aime jusqu’au bout. En donnant sa vie pour nous, il se révèle être le chemin, la vérité et la vie. Cette année encore, le temps liturgique nous surprend dans le temps de la pandémie. Le temps a pourtant passé en un an. Porteur d’espoirs et de déceptions, le temps s’est étiré au point de sembler se transformer en limbes. Alors que nous pensions voir les prémices de la fin de la crise, la troisième vague s’est abattue sur nous avec son lot de restriction, de confinement et de lassitude. Mais, cette année encore, la liturgie nous transporte dans l’espérance vivifiante de la résurrection. Les yeux tournés vers Jésus-Christ, nous entrons avec lui dans ce mystère de mort et de vie, non pas seuls, mais dans la pleine communion avec toute l’humanité.

Ce soir, au chant des vêpres, a retenti le psaume nuptial du Roi, en préludes aux noces de l’Alliance éternelle qui se noue dans le don de sa vie : « Tu es beau comme aucun des enfants de l’homme, la grâce est répandue sur tes lèvres : oui, Dieu te bénit pour toujours. […] Oui, Dieu, ton Dieu t’a consacré d’une onction de joie, comme aucun de tes semblables ; la myrrhe et l’aloès parfument ton vêtement. » (Ps 44, 3.8b-9). Cette « onction de joie » est caractéristique du Christ, l’Oint par excellence. Je voudrais donc nous inviter à entrer dans cette « Grande Semaine », comme la désigne l’antique tradition, en portant notre attention sur les trois onctions qui jalonnent, dans l’évangile de Jean, ce moment crucial de la vie de Jésus.

La première des onctions a lieu à Béthanie, six jours avant la fête de la Pâque (Jn 12, 1-8). Marie répand sur les pieds de Jésus un nard de grand prix qui finit par emplir toute la maison. Cette onction sur le corps vivant du Christ prophétise le don de sa vie par amour. La seconde onction est faite sur le corps mort de Jésus par Joseph d’Arimathie qui, à la descente de la croix, lui donne les derniers hommages, avant de l’ensevelir (Jn 19, 38-42). Ces deux onctions sur le corps de Jésus nous renvoient à notre vocation baptismale. L’onction de Marie témoigne d’un grand amour de cette femme, amie de Jésus. L’onction de Joseph nous rappelle que l’onction est aussi un signe de tendresse, de respect et de compassion. L’un et l’autre prennent soin de Jésus, soin de son corps. Aujourd’hui encore, si nous avons choisi de suivre le Christ, nous le faisons par amour pour lui. Notre attachement à lui est scellé dans l’alliance nouvelle et éternelle de sa Pâque que nous avons reçue le jour de notre baptême. Aujourd’hui encore, si nous avons choisi de suivre le Christ, nous le faisons par amour de nos frères et sœurs, et surtout des plus faibles et les plus fragiles. Avec eux, nous formons le Corps du Christ en ce monde. Ces onctions témoignent donc de la tendresse et de la fidélité que nous sommes invités à vivre au jour le jour pour que le parfum de la bonne odeur du Christ emplisse, non seulement notre maison, mais le monde tout entier.

En cette semaine sainte, en quittant Béthanie, le Christ prend résolument la route de Jérusalem. Il ne s’y rend pas pour mourir en idéaliste, mais pour vivre l’Évangile jusqu’au bout. L’onction de Béthanie marque le début de cet itinéraire décisif. Lorsque Joseph d’Amathie reçoit le corps de Jésus à la descente du Golgotha, il reçoit dans ses bras le témoignage de l’amour de Dieu qui nous a aimés jusqu’au bout. L’onction du sépulcre marque l’aboutissement de cet itinéraire d’amour et nous invite à la même fidélité à l’Évangile.

Mais l’Évangile ne s’arrête pas à la croix : en réalité, il commence même, en son surgissement, au petit matin de Pâque. Dans l’irruption du Ressuscité au cœur de la pièce clôturé par les peurs se produit la troisième onction, l’ultime onction (Jn 20, 19-23). Mais ici, ce n’est plus le corps physique de Jésus qui est oint. La résurrection d’entre les morts l’a établi Seigneur et Christ. C’est lui, Jésus vivant qui repend le souffle de l’Esprit Saint comme une onction vivifiante sur le corps de l’Église présente dans la communauté des apôtres. Cette onction spirituelle communique la force de Dieu : « Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit “Recevez l’Esprit Saint” ». C’est donc dans la force de l’Esprit que l’Église naissante est fortifiée ; c’est donc dans la puissance de l’Esprit que l’Église est envoyée ; c’est donc dans la fraîcheur de l’Esprit que nous avons été plongé dans le baptême. Par cette onction dont nous sommes marqués, nous pouvons franchir les murs de nos peurs pour proclamer les merveilles de l’amour de Dieu.

La Semaine sainte nous convoque ainsi au cœur de notre vie quotidienne et nous fortifie dans notre vie de chrétien. En ces temps longs et compliqués, nous avons plus que jamais besoin de la grâce de ces onctions qui honorent Dieu et lui témoignent de notre amour et de cette onction divine qui nous saisit et nous envoie. Que ces temps soient pour chacun de vous une occasion toute particulière de vivre votre attachement au Christ et à vos frères pour reprendre les forces dont vous avez besoin pour devenir chaque jour des témoins du Sauveur et des artisans du Royaume de Paix.

Père Sylvain Brison