Voici que je me tiens à la porte et je frappe
« Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui,je souperai avec lui, et lui avec moi » (Ap. 3, 20). Ainsi parle le Seigneur à l’Église de Laodicée.
« Je me tiens à la porte… » Je l’ai vu venir. Il marchait rapidement. Je savais, ou plutôt, je sentais qu’il venait vers ma maison, et je me suis retiré en hâte de la fenêtre, pour qu’il ne m’aperçût pas. Car je n’étais pas sûr que je lui ouvrirais. Ses visites produisent sur moi une impression double, contradictoire. Nous nous connaissons depuis bien longtemps. Il y eut des temps où nous étions intimes. Puis nos rapports se sont espacés. D’une part, je mesentais honoré et heureux de l’avoir chez moi. D’autre part, je me sentais souvent gêné. Il me posait des questionspersonnelles, assez abruptes, qui agissaient sur moi comme des brûlures. Je tâchais de détourner l’entretien vers le domaine des idées et des doctrines. Mais toujours il le ramenait vers les choses intimes dont je craignais de parler. Plusieurs fois il est venu et, au lieu d’ouvrir, je me suis caché, non sans honte, non sans remords.
Voici que maintenant il est arrivé à ma porte. Non pas à la porte principale de ma maison. Il se tient en ce moment devant une porte de derrière, plus petite. Au début de notre intimité quand je ne voulais pas avoir de secrets pour lui, je l’avais prié de venir toujours par cette porte de derrière, laissant la grande porte aux hôtes étrangers, auxvisites de cérémonie. Puis je me suis mis à éprouver un malaise devant l’usage qu’il faisait de cette porte réservée. Entrant par-derrière, il était à même de voir ou même de traverser des pièces familières mal tenues. Il semblait prendre un intérêt à ma salle à manger, à ma cuisine, à ma chambre à coucher. Le désordre et la poussière ne lui échappaient pas. Il y fit même des allusions à la fois discrètes et directes. Je répondis évasivement : « Oh ! C’est si difficile… Je n’arrive pas… ». Il me dit alors : « Et si nous essayions ensemble, tous deux ?… ». Mais j’avais peur. Je craignais qu’il découvrît à quel point certaines choses n’étaient pas ce qu’elles devraient être. J’ajournai, je prétextai des occupations urgentes. Afin de couper court, je condamnai la porte de derrière. Je le fis désormais entrer par laporte de la façade. Je le reçus au salon. Ses visites devinrent, de mon fait, de plus en plus froides et formelles, et de plus en plus rares.
Il est donc arrivé à la porte de derrière. Elle est close. Depuis que « sa » porte a été condamnée, une végétation sauvage commence à la recouvrir. Le lierre croît librement. Au pied de la porte poussent des herbes folles et mêmedes plantes toxiques, des tiges de belladone et de ciguë. La serrure est rouillée. Il s’est arrêté devant « sa » porte, et il laregarde. Va-t-il frapper ? Veut-il donc entrer par cette porte et montrer ainsi qu’il désire renouer les relations intimes d’autrefois ? Mais voilà qu’il frappe ! Vais-je ouvrir ? Rien n’est prêt pour le recevoir. Un désordre inouï s’étale partout. Et où est la clef de cette porte ? Il frappe encore. Je l’observe de loin. Il frappe doucement. Il ne donne pas de coups de poing. Il heurte lentement la porte avec le doigt majeur. Je remarque que son regard n’est pas dirigé directement en face, vers la porte. Tout en frappant, il regarde par côté et en haut, vers le ciel. Son expression estgrave, attentive, mais non impatiente. Il semble se concentrer, non sur la porte et la réponse que je ferai, mais sur lagrâce que le Père peut accorder, sur la décision que le Père peut inspirer.
Il frappe toujours. « Je me tiens à la porte et je frappe… » Le verbe est au présent. Il s’agit d’une actionrépétée, continue. Que faire ? Je ne puis pas vivre sans sa présence, et je ne puis supporter sa présence. Si j’ouvre, va-t-il m’adresser des reproches ? Essaierai-je de m’excuser ? Je ne puis ouvrir que si je me rends à lui sans conditions…Alors il n’y aura plus de problèmes… Allons ! Je vais vers la porte. J’ouvre cette porte qui grince et que retiennent les plantes parasites. Je m’efface : « Seigneur, entre. Seigneur, tu sais… ». J’allais dire : « Tu sais que, malgré tout, je t’aime…». Mais je n’ose continuer la phrase, et un sanglot étrangle ma voix. Lui me regarde avec un sourire calme. Il dit : « Je sais… Je vais souper avec toi ». Je m’écrie : « Seigneur, je n’ai pas préparé de repas. Je n’ai rien de ce qu’il faut ». Il répond : « C’est moi qui t’invite à mon souper. Je veux, chez toi, célébrer ma Cène ».
Un moine de l’Eglise d’Orient,
« Voici que je me tiens à la porte… »,
dans Le visage de Lumière,
Chevetogne, 1966, p. 165-169
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