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Pour inaugurer la nouvelle rubrique du site « Découvrir des théologiens », je vous propose de commencer avec William T. Cavanaugh, un théologien américain contemporain stimulant dont la théologie a été inspirante dans mon travail de thèse.

William T. Cavanaugh

William T. CAVANAUGH
William T. CAVANAUGH
Théologien américain
Senior Research Professor
Professeur à DePaul University à Chicago

« Je me concentre sur l’eucharistie comme une imagination alternative de l’espace et du temps qui construit un corps de résistance à la violence, le corps du Christ. C’est un corps qui est blessé, brisé par les puissances et les principautés, et dont le sang est répandu en offrande sur cette terre dévastée. Mais c’est aussi un corps traversé par la résurrection, un signe de l’irruption saisissante du Royaume dans le temps de l’histoire et la présence disruptive du Christ-Roi dans la politique du monde »

William T. Cavanaugh, Theopolitical Imagination, p. 7.

William T. Cavanaugh (né en 1962) est un théologien catholique américain, laïc, marié et père de famille. Il est actuellement directeur du Center for World Catholicism and Intercultural Theology (CWCIT) et professeur de Catholic Studies à l’université DePaul de Chicago.

Après avoir effectué un premier cycle à l’Université Notre-Dame (Indiana), il a obtenu un master en 1987 à l’université de Cambridge (Royaume-Uni) avec un mémoire intitulé : « The Challenge of a Radical Method: A Comparison of the Methodologies of Jon Sobrino and Hugo Assmann ». En 1987, il travaille dans une banlieue pauvre de Santiago au Chili comme laïc associé avec la congrégation de la Sainte-Croix. Cette expérience sera fondatrice; elle sera l’origine de sa thèse de doctorat (PhD in religion) conduite sous la direction de Stanley Hauerwas à l’Université de Duke (Caroline du Sud) et soutenue en mai 1996 sous le titre : « Torture and Eucharist in Pinochet’s Chile ». Il a enseigné entre 1995 et 2010 à l’université Saint-Thomas (MN) avant de rejoindre DePaul University. Ses recherches le conduisent dans les champs de la théologie politique, de l’éthique économique et de l’ecclésiologie.

L’Église comme corps politique

Une des thèses fondamentale développée par Wiliam T. Cavanaugh propose de considérer l’Église comme un corps politique sui generis formé par l’eucharistie. ; ce « geste théologique » est relativement original dans la théologie actuelle. Cette perspective s’enracine dès le début de son travail de théologien dans l’élaboration de sa thèse doctorale, Torture and Eucharist, centrée sur les problèmes, les enjeux et les défis théologiques de l’Église catholique au Chili, confrontée au régime dictatorial de Pinochet et en proie, solidairement avec toute la population, aux disparitions soudaines et à la violence de la torture. Cavanaugh déploie ici, et dans la très grande majorité de ses écrits postérieurs, une notion « d’imagination » capable de rendre compte, sous une modalité narrative, à la fois de l’organisation du réel et aussi des projets et des « visions » du monde qui sont à l’œuvre dans les corps sociaux en présence. Aux récits de l’État-nation moderne, de la mondialisation ou du marché, répond une imagination théologique de l’Église qui, face à la dimension violente du « politique » en ce monde, se présente comme une forme de « résistance », en proposant des modes de vie alternatifs, un modèle de société en contraste.

Héritages et originalité

Chaque théologien a sa propre histoire quant à la naissance de ce que l’on pourrait appeler sa « vocation théologique ». Pour William Cavanaugh, ce fut une rencontre au début de ses études universitaires qui le fit entrer dans cette nouvelle voie : celle de Stanley Hauerwas à l’université Notre-Dame dans l’Indiana. Après avoir obtenu son Master of Arts à l’université anglaise de Cambridg, il entre à l’université de Duke pour faire sa thèse sous la direction de son ancien professeur pour qui il conserve une amitié et une certaine reconnaissance, comme en témoignent ces quelques lignes qui préfacent la publication de Torture and Eucharist :

Ce livre se fonde sur ma dissertation doctorale à l’université de Duke, terminée sous la direction de Stanley Hauerwas. Lorsque j’étais étudiant en Licence à Notre-Dame, Stanley m’a sauvé du métier d’avocat en me convainquant que la théologie ne devait pas être sans intérêt.
(William T. Cavanaugh, Torture and Eucharist, p. x.)

Dans un certain sens, la théologie de Cavanaugh, tout en gardant son originalité propre, est héritière en bien des aspects de celle du théologien texan. Par exemple, un des nombreux points communs entre ces deux penseurs américains se trouve dans leur manière de considérer le rôle de l’Église, en tant que communauté, et sa capacité à promouvoir la paix face à la violence du monde Mais si les deux théologiens partagent, entre autres, une analyse similaire sur la fausse dimension salvatrice de l’État moderne, Cavanaugh se distingue nettement d’Hauerwas dans sa manière de considérer l’interaction entre l’Église et la société, affirmant la capacité de l’Église à agir directement dans la vie civile – en particulier par l’action des communautés chrétiennes – et à transformer ainsi la société dans laquelle elle vit.

Mais Cavanaugh n’est pas un disciple inconditionnel d’Hauerwas et il puise ses ressources dans d’autres traditions comme celle de la Nouvelle théologie française dont la figure de proue est Henri de Lubac. Cette filiation et sa réinterprétation ont conduit – peut-être trop rapidement – nombre de lecteurs de Cavanaugh à le catégoriser dans les théologiens appartenant au courant Radical Orthodoxy. Mais cette conception doit être largement nuancée. Bien qu’ayant contribué, par la rédaction d’un chapitre, à l’ouvrage qui tente de tracer les lignes directrices de cette nouvelle « école » de théologie, Cavanaugh ne peut pas être considéré comme un pur « radical orthodoxe ». En effet, s’il partage un certain nombre de convictions avec John Milbank, le « père fondateur », il n’entre pas, dans sa propre recherche, dans les considérations métaphysiques et ontologiques qui préoccupent habituellement les partisans de cette forme de théologie. Cavanaugh ne parle jamais de Radical Orthodoxy, ni comme mouvement ni comme source de son travail. S’il se réfère à la pensée des leaders comme Milbank ou Pickstock, il ne le fait que ponctuellement en citant un point précis de la théologie des auteurs. Certes, il partage avec eux quelques principes fondamentaux dans le sens où il conteste lui aussi une certaine conception de la « raison séculière » et lorsque, par exemple, il milite avec Milbank pour un retour à une interprétation théologique et ecclésiologique de la sphère du « social ».Un lecteur attentif de Cavanaugh peut aussi noter que, dans ses derniers travaux, ce dernier prend implicitement ses distances avec Radical Orthodoxy pour développer une approche très personnelle : sa conception de la crise de la modernité et de ses implications dans la sphère théologique le situe dans une démarche ecclésiologique particulière qui le conduit à réinterroger notre manière de lire l’histoire, la philosophie, et les autres sciences sociales pour redéfinir la manière dont le discours théologique se situe par rapport à elles. Il n’y a donc pas, semble-t-il, un rejet a priori des autres sciences comme sources ou base du discours théologique. Plus profondément, cette démarche impose à Cavanaugh de développer, au moins de manière empirique, un discours théologique qui se positionne différemment (d’un point de vue épistémologique) par rapport à ces sciences humaines.

Extraits de Sylvain BRISON,  L’imagination théologie-politique de l’Église,
“Cogitation Fidei” 310, Éditions du Cerf, Paris, 2020. 

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