Idolâtrie ou Liberté ?
Le défi de l’Église au XXIe siècle

William T. Cavanaugh – Salvator – Paris – 2022 – ISBN : 978-2-7067-2231
Textes traduits et présenté par Sylvain Brison

Nous vivons dans un monde un monde marqué par de multiples crises – sociales, environnementales, politiques, ou économiques – qui ont pour fondements la sacralisation de l’argent, du pouvoir et par-là même de l’individu. Le théologien William Cavanaugh propose depuis plusieurs années une réflexion pour résister à ces problèmes et permettre aux hommes et aux femmes de ce temps de relever ces défis. Dans ce contexte, l’Église, même si elle semble « toujours sur le point d’échouer », a un rôle déterminant à jouer pour parer à toute tentation idolâtrique, y compris en son propre sein. Appuyé sur l’Évangile, la Tradition et les témoins de la foi, le peuple de baptisés a le devoir de débusquer, dans nos sociétés sécularisées beaucoup moins désenchantées qu’il n’y paraît, tout ce qui peut blesser l’image divine inscrite au cœur de tout être humain.  Grâce à une réflexion théologique originale, William Cavanaugh nous aide à ne pas être dupes de ces nouvelles sacralités qui pullulent afin de retrouver l’adoration véritable. C’est en ouvrant les yeux sur les nouvelles idoles de nos sociétés d’hyperconsommation, devenues de véritables fabriques à exclusion, que nous pourrons prétendre accéder à la liberté authentique des enfants de Dieu.

Extraits de l’introduction : « L’adoration véritable »

Par bien des aspects, notre monde occidental ressemble de plus en plus à un Disneyland désordonné où les hommes et les femmes passent d’imaginaires fantaisistes en utopies pour oublier l’âpreté de la vie ordinaire. Dans un univers ultra-consumériste où les populismes grandissent de concert avec de nouveaux nationalismes, où le pouvoir et l’argent s’entremêlent dans une union sacrée, où l’individualisme vit ses heures de gloire, un système de « cage d’or » semble à présent remplacer la « cage de fer » de la modernité. Le présent ouvrage de William T. Cavanaugh tente à la fois de poser une forme de diagnostic sur notre monde en constant état de crise (sanitaire, économiques, écologiques, sociologique…), d’interroger la place et le rôle de l’Église dans le monde de ce temps, mais surtout de proposer une prise de conscience renouvelée pour sortir des pièges invisibles dans lesquels nous retombons inexorablement si nous nous laissons portés par la douce mélancolie anesthésiante qui s’immisce imperceptiblement au cœur de nos vies.

Peu de solutions semblent en effet s’offrir à nous. La plus évidente, la plus facile sans doute, serait de laisser les évènements se dérouler selon un apparent ordre des choses, en espérant que le Royaume à venir viendra se substituer de manière quasi magique à ce monde-ci. Mais cette apparente solution n’est qu’une fuite en avant, une évasion hors de la réalité ; et cela n’a rien de chrétien. Une autre réponse aux défis de ce temps serait de vouloir imposer une marche forcée aux évènements, en tentant d’imposer par l’instrumentalisation du politique, une forme de théocratie qui impliquerait une sorte de retour à une chrétienté idyllique qui, dans les faits, n’a jamais existé. Cette solution n’est pas plus chrétienne que la première, car elle méprise elle aussi la réalité du monde qui fait pourtant l’objet de l’amour inconditionnel de Dieu. Entre ces deux écueils, William Cavanaugh cherche les ressources de l’Évangile qui pourront être mises en œuvre en Église, à condition de ne pas être dupe des fausses réalités, des idolâtries insidieuses qui parasitent le monde et l’Église. C’est donc une forme de résistance évangélique, par amour de Dieu et par amour du monde, qui se dégage ainsi dans le recentrement de la vie chrétienne sur son essentiel.

Le livre que voici propose un parcours exigeant, mais salutaire dans les méandres des réalités crées de ce monde en cherchant à redonner à l’adoration véritable sa juste place. La thèse de fond développée par l’auteur est qu’il nous faut renoncer au slogan du « désenchantement » du monde pour redécouvrir que nous vivons dans une réalité réenchantée, ou plutôt « mésanchantée », afin de gagner en liberté dans notre rapport avec elle. Cette manière originale de considérer les choses implique d’ouvrir les yeux sur les nouvelles idoles qui réclament nos dévotions et notre adoration : la consommation immodérée de produits rutilants qui masquent l’âpre réalité de leur conception, le nationalisme qui fait passé pour une vertu le repli sur soi et l’exclusion des autres, les processus économiques qui domestiquent nos comportements afin de nous faire adorer le veau d’or de la richesse, et l’illusion d’une liberté égocentrée qui n’est qu’un ersatz anesthésiant la vraie liberté des Fils de Dieu.

Face à ces nouvelles idoles qui se dressent comme autant de défis à la vie chrétienne, William Cavanaugh oppose un refus fondé dans une pensée théologique. En mobilisant des penseurs aussi différents que Henri de Lubac, Gerhard Lohfink, Thomas d’Aquin, Max Webber, Karl Marx et le pape François, en s’appuyant sur la tradition, sur la Bible et le témoignage des communautés chrétiennes, l’auteur fait feu de tout bois pour construire une argumentation décisive afin de mettre à bas les mythes modernes qui masquent la réalité véritable.

[…]

À plusieurs reprises dans cet ouvrage, William Cavanaugh nous rappelle, à la suite de saint Paul sur l’aréopage d’Athènes, que nous sommes tous des êtres de dévotion et d’adoration qui cherchons les traces du vrai Dieu. Que le monde ne soit pas aussi désenchanté que le promettait la modernité n’est donc pas une fatalité ; que nous devions avancer comme à tâtons au milieu de nos propres créations ne devrait pas être un obstacle ni une difficulté. La grande question qui doit nous préoccuper repose sur la manière dont la liberté se déploie dans nos vies pour nous permettre d’adorer le vrai Dieu et d’échapper ainsi aux idolâtries mensongères qui peuvent nous détourner de la vérité et nous égarer loin de Dieu. En fin de compte, la théologie convoquée par l’auteur comme ressource pour mieux vivre se révèle être un outil puissant pour comprendre le monde et entrer en discussion avec les autres formes de rationalités. Dans un temps où toutes les autorités et les valeurs universelles sont remises en question, où le politique, la science, la philosophie, et les autres sciences humaines peinent à rendre compte de manière satisfaisante, par elles seules, de la complexité du monde, une nouvelle voie semble donc pouvoir se dégager grâce ces ressources largement insoupçonnées. Puisque nous vivons dans une société occidentale sécularisée, marquée par une volonté de séparation stricte du public et du religieux, cette perspective semble souvent peu évidente, mais elle n’en porte pas moins l’espoir d’un dialogue fécond et d’une forme de vie possible pour construire un monde pacifié et respectueux de chacun. Puissent les réflexions qui suivent ouvrir de nouveaux champs d’action et de pensée pour avancer sereinement sur les chemins du Royaume.

Sylvain Brison

Table des matières

Introduction: L’adoration véritable (par S. Brison)

William Cavanaugh, une voix saillante de la théologie
De l’Église au Royaume par-delà l’idolâtrie
Le défi chrétien aujourd’hui

1. Au bord de l’échec

Le temps de l’enfance
Les études universitaires
L’expérience sud-américaine
Prise de conscience et travail théologique
Être sur le point d’échouer
De l’échec à l’espérance
De la juste place de l’Église

2. Le peuple pèlerin

L’histoire du salut
Un peuple élu
Le corps du Christ
La vie chrétienne et l’Église
Sacrement 

3. Dieu et le désenchantement dans le monde d’Amazon

Production
Consommation 
Idolâtrie

4. Vices et vertus du nationalisme

Le nationalisme comme religion 
Le nationalisme comme idolâtrie
Les vices et les vertus du nationalisme
Nationalisme et patriotisme civiques

5. Économie, idolâtrie et sécularisation depuis Gaudium et spes

L’économie dans Gaudium et Spes
Le pape François et l’économie
Approches catholiques de la sécularisation dans les années 1960
La sécularisation dans le contexte contemporain

6. Liberté sans limite, solitude sans fond
Exode
Différents types de liberté
Lonely Planet
La vraie liberté

Conclusion: Une Église excentrique